
- Enseignement primaire et secondaire
"C'est ma meilleure lectrice – Seulement elle ne comprend pas bien ce qu'elle lit…" Mary DeKonty Applegate, Anthony J. Applegate, Virginia B. Modla - Littératie adulte
Une démarche pédagogique: l'école à 91 ans Catherine Stercq - Echos internationaux
Dossier dyslexie (suite) La lecture, entre sciences de la nature et sciences sociales
Jacques Fijalkow - Littérature de jeunesse – pistes pratiques
Sacrées sorcières de Roald Dahlde Roald Dahl Serge Terwagne - Notes de lecture
Pour aborder en classe l'écriture de soi Graziella Deleuze, J.-L. Dumortier (coord.)
Pour aborder en classe l’écriture de soi
Jean-Louis Dumortier (coord.), Namur, Cédocef & PUN, 2009, Tactiques, n°5 (155 p.).
Avec des contributions de Daniel Delbrassine, Jean-Louis Dumortier, Claude Marion, Julien Van Beveren & David Vrydaghs.
Cet ouvrage, composé de six articles, propose une réflexion théorique mais surtout pratique sur les récits de soi et sur la manière de les aborder en classe. Si les perspectives et les activités proposées sont variées, les auteurs n’en poursuivent pas moins des objectifs communs: amener les adolescents à développer des compétences en lecture, à adopter une attitude critique face aux récits du genre, à mener une réflexion anthropologique.
Dans le premier chapitre, J.-L. Dumortier, coordinateur de l’ouvrage, retrace l’historique de l’écriture de soi en évoquant ses premières manifestations, son évolution jusqu’aux formes multiples que ce genre revêt aujourd’hui, à l’ère du postmodernisme, celle de l’individualisme qui se complait dans l’exhibition de l’intime. Si la perspective adoptée pour retracer l’histoire du genre est essentiellement littéraire (de nombreuses oeuvres exemplifient le propos), l’auteur s’autorise quelques détours par la sociologie ou l’anthropologie. J.-L. Dumortier tente aussi une définition de ce genre protéiforme et distingue, pour mieux les rapprocher, l’autofiction, l’autobiographie et le journal personnel.
Cette introduction, au style soigné, remet donc les pendules à l’heure dans la grande tradition du commentaire scientifique destiné à des initiés ou à des lecteurs éclairés disposant d’une copieuse bibliothèque intérieure. Voilà un article que nous recommanderons pour le plaisir du texte et la rigueur du contenu.
Le deuxième chapitre entame une série de cinq séquences didactiques pour aborder en classe l’écriture de soi avec des élèves du secondaire supérieur. La première, assurée par J.-L. Dumortier, propose une lecture d’un extrait de l’Histoire exécrable d’un héros brabançon, de Jean Muno (1982). Ce «roman» est un bel exemple de récit où « l’imaginaire a envahi la réalité » : le narrateur et l’auteur semblent bien être une seule et même personne mais de nombreuses invraisemblances émaillent le récit. Le didacticien présente l’oeuvre et son contexte de parution, propose la lecture d’un extrait (une lecture-tremplin) avec consigne de lecture et pistes d’exploitation. Il suggère aussi quelques conseils à l’enseignant qui s’aventurerait dans une lecture du roman complet.
Si l’extrait choisi nous parait difficile d’accès pour un lecteur adolescent (mais le roman lui-même n’aurait-il pas mal vieilli ?) par les nombreuses connaissances linguistiques, historiques et culturelles qu’il requiert, le didacticien justifie son choix, d’une part, par l’originalité du propos sur l’historicité des savoirs diffusés par l’école et, d’autre part, par la mise en scène de deux attitudes antithétiques vis-à-vis de la littérature belge en la personne des deux protagonistes.
Dans l’article suivant, Claude Marion rassemble, tout d’abord, quelques fragments de son autobiographie de lectrice de récits de soi, usant généreusement d’un je bien inspiré. Si la présence de propos sincères et presque impudiques étonne dans un ouvrage scientifique, cette introspection permet à l’auteure d’établir un lien avec les comportements de lecteur d’adolescents dont elle a eu la charge et de poser la question centrale de la qualité des textes que nous leur donnons à lire. Ensuite, elle propose une série d’activités composées, en premier lieu, d’un questionnaire visant à faire réfléchir les élèves sur les motivations qui peuvent conduire certains auteurs à se livrer. Les deuxième et troisième activités proposent la lecture de trois extraits d’autobiographies: Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Enfances de Nathalie Sarraute (1983) et la Fille démantelée (1990) de Jacqueline Harpman. Un questionnaire accompagne ces extraits dont la lecture a pour objectif d’amener les élèves à réagir aux propos tenus par les auteurs, à réfléchir sur leur intention artistique et sur la fonction qu’ils confèrent à l’écriture autobiographique. La séquence se clôture par la comparaison de trois jugements de gout motivés, relatifs aux extraits précédemment cités.
Dans le quatrième chapitre, Daniel Delbrassine passe d’abord en revue les spécificités du récit de soi dans la littérature destinée à la jeunesse, récit de soi qui prend souvent la forme de pseudo-autobiographies. Ensuite, il décrit une séquence construite autour de la supercherie littéraire, très médiatisée, de Misha Defonseca qui avait présenté comme autobiographique son récit Survivre avec les loups (2004). Cette séquence vise, entre autres, à faire découvrir aux élèves des éléments du champ littéraire (fonctionnement du monde de l’édition contemporain) par l’analyse du paratexte, à susciter une réflexion autour de concepts tels que réalité, fiction, mensonge, invention… par l’identification des stratégies d’authentification. La séquence se termine par plusieurs suggestions de tâches finales d’écriture toutes pertinentes et, pour certaines, originales. Les professeurs de français trouveront dans cet article les références de deux collections et de romans de littérature de jeunesse qui empruntent les formes du récit de soi sans renoncer à la qualité littéraire. Précieux donc.
Dans le chapitre cinq, Julien Van Beveren invite à une promenade littéraire dans l’oeuvre Passion simple d’Annie Ernaux (1991). Comme au deuxième chapitre du présent ouvrage, une présentation du récit, des consignes de lecture, des questionnaires (avec ou sans le texte) guident la lecture de trois extraits. Celle-ci vise un objectif majeur: amener les élèves à identifier, à définir la focalisation et ses conséquences sur leur perception des évènements et sur leur accès aux informations. L’auteur propose aussi quelques suggestions pour une lecture approfondie du récit d’Annie Ernaux.
Enfin, l’ouvrage se termine par un article de David Vrydaghs qui parcourt l’autobiographie d’un lecteur, Michel Tremblay en l’occurrence, à travers la lecture d’extraits d’Un ange cornu avec des ailes de tôles (1994). Dans l’extrait choisi, l’auteur québécois décrit, entre autres, sa pratique (intime) de lecture, la jouissance qu’il en tire et les changements que ces lectures induisent dans la perception de son moi. La séquence proposée ici par le didacticien s’articule de la même manière que celle des chapitres deux et cinq.
Si ces deux derniers chapitres peuvent apparaitre redondants parce qu’ils reproduisent une seule et même manière d’appréhender le récit, les lectures qui y sont suggérées répondent néanmoins à des objectifs différents. L’originalité n’est donc pas dans la manière mais bien dans la matière.
En conclusion, cet ouvrage répond aux exigences des objectifs de la collection « Tactiques »; considérons-le donc comme une somme de réflexions et une palette d’outils à adapter à la plume de tout enseignant soucieux d’y voir un peu plus clair dans l’abondance de récits de soi qui caractérise la production littéraire contemporaine.
Sacrées sorcières, Roald Dahl
Roald Dahl, Sacrées sorcières
Gallimard, Folio junior, 1984
- Niveau : Degré supérieur du primaire
- Activités de lecture et d’écriture littéraires
Voici un grand projet de lecture intégrale d’un roman, qui peut s’étendre sur deux mois, à raison de deux séances de deux heures par semaine. On y trouvera les procédures désormais bien connues des « cercles de lecture » (Terwagne, Vanhulle et Lafontaine, 2000 – De Boeck), avec un recours privilégié aux activités de dramatisation et d’écriture.




La lecture, entre sciences de la nature et sciences sociales
Suite et fin du dossier entamé lors du précédent numéro. Notre second invité est Jacques Fijalkow. Jacques Fijalkow est l’un des rares chercheurs francophones à s’être intéressé de manière opiniâtre à la question de la dyslexie, depuis la publication de son Mauvais lecteur, pourquoi? en 1984 - un ouvrage périodiquement mis à jour... jusqu’à son interview récente parue dans la revue Sciences Humaines (« La dyslexie est une construction idéologique »).
En France, le 21 mars 2001, un Plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage a été présenté par le ministre de l’Éducation nationale, le ministre délégué à la Santé, et le secrétaire d’État aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Ce texte officialise l’existence de la dyslexie dans le cadre éducatif.
À l’intention de ceux qui se demandent quelle est sa portée, il suffit de rapporter que ce texte vise 4 à 5% des enfants, dont 1% présentant des troubles sévères (p.5), ce que les auteurs qualifient eux-mêmes d’« affaire d’État » (p.7). Sans vouloir dramatiser outre mesure cette question, ces précisions devraient suffire pour que les personnes concernées par l’entrée dans l’écrit des enfants en France ne la considèrent pas comme négligeable.
Ce plan d’action constitue l’aboutissement de mesures préparées par des ministères précédents, à partir au moins de celui de François Bayrou. Il n’est donc ni de gauche ni de droite, du moins si on considère la couleur affichée des ministères successifs qui ont travaillé sur ce dossier. Indépendamment donc de toute politique politicienne, ce qui doit retenir l’attention, c’est que ce plan constitue une importante victoire dans le cadre d’une de ces guerres de cent ans dont la lecture est le terrain, guerre qui, en l’occurrence, a effectivement commencé il y a environ un siècle. Sans vouloir faire ici à nouveau le récit et l’analyse de ce siècle de batailles (Fijalkow, 1996), rappelons-en néanmoins quelques moments forts.
Bref rappel historique
L’affaire a débuté à la fin du XIXe siècle quand, au lendemain de l’instauration de la scolarité obligatoire, il est apparu que des enfants soumis à l’obligation scolaire qui venait juste d’être instaurée éprouvaient des difficultés à apprendre à lire. Si l’on se replace dans l’état de la division du savoir de l’époque, et à l’absence de l’armée de « pédagos » et de « psys » dont on dispose aujourd’hui, on comprend aisément que l’instituteur et/ou les parents désemparés n’aient trouvé d’autre solution que de faire appel au médecin pour examiner ces enfants résistant à l’obligation d’apprendre. La médecine de son côté venait de découvrir l’aphasie, c’est-à-dire le fait qu’une blessure cérébrale puisse provoquer des troubles du langage parlé. Du langage parlé perturbé chez l’adulte au langage écrit à apprendre par l’enfant, le pas a été vite franchi et de nombreux médecins, s’appuyant sur leur science toute fraiche, ont formulé l’hypothèse que l’enfant mauvais lecteur avait sans doute une lésion cérébrale comparable à celle de l’adulte au cerveau blessé et qui avait des difficultés de communication verbale. L’hypothèse de la dyslexie était née.
Cette hypothèse n’a cependant pas fait l’unanimité et nombreux ont été les pédagogues, puis les psychologues, à ne pas s’en satisfaire. Les psychologues scolaires, apparus après la 2e Guerre mondiale dans la mouvance de Wallon et regroupés autour de Zazzo, ont été les plus vigoureux à contester l’origine organique de ces difficultés et la compétence des médecins à faire face aux problèmes de lecture apparus dès lors que l’école était devenue obligatoire. De multiples recherches ont alors été effectuées en milieu médical afin de vérifier l’hypothèse avancée par les premiers auteurs, sans que les résultats obtenus aient jamais permis de vérifier de façon irréfutable cette hypothèse, tandis que, de leur côté, les sciences humaines et sociales en plein développement s’efforçaient d’identifier d’autres facteurs que les facteurs organiques énoncés par les premiers auteurs.
Comme dans le cas de la Guerre de cent ans, l’histoire de ces recherches et celle de ces batailles entre les camps en présence fait apparaitre une succession de violents combats et de périodes d’accalmie. Au cours des années soixante, le combat pour la dyslexie a été mené par le Dr Debray-Ritzen, tandis que le CRESAS, un centre de recherches de l’INRP, défendait des hypothèses inspirées par les sciences humaines et sociales. C’est ainsi, par exemple, que le colloque intitulé La dyslexie en question publié par le CRESAS en 1972 a constitué un point fort de ces discussions. Par la suite, au cours des décennies suivantes, l’habitude a été prise d’éviter de parler d’enfants « dyslexiques » et d’utiliser plutôt l’expression sans connotation médicale de « mauvais lecteurs », puis le terme de « dyslexie » est revenu, jusqu’à ce que l’Éducation nationale reprenne à son compte et le mot et la chose.
Que s’est-il produit pour que, quelque trente ans après ces batailles pour et contre la dyslexie, le Ministère de l’Éducation nationale ait décidé de rendre raison à son adversaire traditionnel en la matière, le Ministère de la Santé, en se rangeant en 2002 aux côtés de son adversaire historique ? C’est ce que nous nous demanderons ici. On peut y répondre de deux façons, l’une pessimiste et l’autre optimiste.
Des réponses peu convaincantes
La réponse pessimiste consiste à dire que, depuis 30 ans, l’Éducation nationale a tout essayé, que tout a échoué, et que si l’on veut résoudre le problème que pose l’existence de difficultés d’entrée dans l’écrit, il faut donc résolument changer de cap. Si l’Éducation nationale n’y est pas parvenue, c’est que le problème n’est pas de sa compétence et il vaut mieux alors qu’elle laisse la place à la Santé. À ce discours pessimiste, on peut répondre de plusieurs façons. Premièrement, si on peut dire que l’on a tout essayé, il est plus difficile d’énoncer précisément quoi. En matière de lecture en général, s’il est vrai que, au cours de cette période, on a beaucoup parlé, plus que jamais sans doute, il est tout aussi vrai que l’on a peu fait. On ne voit pas en particulier ce qui aurait été fait de façon spécifique à l’intention des enfants ayant des difficultés à apprendre à lire, exception faite d’un site internet généraliste sur la lecture sur lequel la question est évoquée parmi d’autres (www.bienlire.education.fr).
Deuxièmement, si bien des innovations intéressantes, dont certaines couronnées de succès, ont été développées dans des classes, ces innovations n’ont pas diffusé au-delà du lieu où elles sont nées. Plutôt que de dire que tout a échoué, il parait donc plus juste de dire que les réussites n’ont pas été soutenues.
La réponse optimiste pour expliquer ce changement de cap relatif aux difficultés d’apprentissage de l’écrit est que la recherche, après avoir longtemps piétiné, a marqué des points décisifs au cours des trente dernières années. Si on prend la peine d’examiner la production scientifique concernant les enfants mauvais lecteurs, les changements que l’on observe par rapport à la période précédente ne confirment pourtant pas ce point de vue optimiste.
Il est vrai que les difficultés d’apprentissage de la lecture ont donné lieu à des recherches plus nombreuses que jamais. Jusqu’à la 2e Guerre mondiale, ce sont les médecins qui s’occupaient de la question et les premiers psychologues suivaient, alors que, depuis l’après-guerre, la relation s’est inversée : ce sont les médecins qui suivent maintenant dans une très large mesure les psychologues, du moins en ce qui concerne les aspects cognitifs de la lecture.
Qu’apportent donc de neuf les recherches effectuées au cours des trente dernières années ?
Sur le plan théorique, la notion très vague de « dyslexie » a éclaté chez certains auteurs (Ellis, 1989), faisant place à des formes multiples de dyslexie. Une analyse précise de la littérature fait toutefois apparaitre que les formes cliniques proposées sont plus souvent des modèles théoriques élaborés à partir de quelques cas cliniques que le résultat d’études empiriques menées sur des populations conséquentes. À ces propositions théoriques, il manque donc une validation empirique. Sur le plan conceptuel, le succès exceptionnel qu’a rencontré la notion de « conscience phonologique » interroge. Plus qu’une explication scientifique universelle, qui nous semble éminemment discutable (Fijalkow, 1999), ce succès pourrait bien refléter l’imaginaire mystifié de certains chercheurs croyant avoir enfin trouvé LA réponse à un problème très présent dans l’espace public. Il témoigne ce faisant d’une conception simpliste de l’explication scientifique consistant à penser qu’une cause unique puisse rendre compte d’un problème dont les déterminants ne sauraient qu’être multiples et exiger la construction de chaines causales plurielles à élaborer. La conception mécaniciste de la lecture du type panne-réparation trouve là sa plus belle expression.
Sur le plan technologique, il semble que le développement récent des techniques d’imagerie cérébrale permettant d’observer « en direct » l’activité cérébrale lors d’une tâche intellectuelle donnée, par exemple la lecture, soit à l’origine du regain d’intérêt que l’on observe pour l’étiologie organiciste. L’histoire de la recherche dans ce domaine montre en effet que, chaque fois qu’apparaissent de nouvelles techniques médicales, l’intérêt pour la lecture refait surface dans la sphère médicale, l’espoir renaissant alors de pouvoir enfin mettre en évidence les bases physiologiques de la dyslexie. Les nouvelles techniques d’observation, il est vrai fascinantes, semblent ainsi avoir eu pour effet de réanimer en milieu médical l’hypothèse maintenant centenaire d’un dysfonctionnement cérébral spécifique dont on n’avait pas jusqu’ici eu les moyens techniques d’établir véritablement l’existence. Il y a toutefois loin de l’observation de différences à l’établissement de liens de causalité.
On peut enfin douter que la recherche médicale ait progressé de façon décisive en la matière quand on examine l’outil d’évaluation utilisé dans une étude en cours par des médecins et des orthophonistes de Gironde pour détecter à l’âge de 4 ans les enfants à risque de dyslexie. Le ERTL4, qui est utilisé dans une expérimentation portant sur environ 1500 enfants, intitulée Dépistage et soins précoces du langage en Gironde, repose en effet sur l’hypothèse que la maitrise du langage oral conditionne celle du langage écrit. Or cette importance déterminante conférée à l’excellence du langage oral, bien compréhensible de la part d’orthophonistes (ou, pour la même raison, de linguistes), a été mille fois étudiée dans les années cinquante sans grand succès. L’hypothèse n’est donc pas nouvelle et si nouveauté il y a, elle réside surtout dans l’ignorance chez ceux qui la professent de la littérature de recherche à ce sujet.Si les explications à l’emporte-pièce du type « on a tout essayé » ou du type « les extraordinaires découvertes de la recherche scientifique » ne permettent donc pas d’expliquer pourquoi la dyslexie a gagné cette bataille, force est alors d’aller chercher la réponse dans d’autres directions. Le plan d’action adopté ne reposant pas sur des bases scientifiques mais bien idéologiques, c’est donc à une analyse politique, au sens large du terme, qu’il faut se livrer pour tenter de répondre à la question posée. Ceci revient à s’interroger sur les facteurs qui, dans la société française, peuvent expliquer la décision prise.
Dans le rapport de forces qui oppose ceux pour qui les difficultés d’entrée dans l’écrit sont fondamentalement de nature organique et ceux pour qui elles sont fondamentalement de nature sociale, le renversement de position de l’Éducation nationale peut s’interpréter alors comme le résultat d’un renforcement des premiers et/ou d’un affaiblissement des seconds, et donc comme l’expression dans ce domaine d’un contexte politique d’ensemble.
Les forces favorables à la dyslexie
En ce qui concerne les forces favorables à la dyslexie, leur renforcement est en effet apparent depuis plusieurs années. On le constate sur plusieurs fronts.
Sur le front de la recherche, on assiste à un développement massif et exceptionnel dans les universités françaises du courant de recherches présenté plus haut sous l’étiquette de « psychologie cognitive », véritable raz-de-marée dont une conséquence, par exemple, est la quasi-disparition de la psychologie de l’enfant. C’est dans ce contexte que l’hypothèse selon laquelle les difficultés d’entrée dans l’écrit renvoient à des facteurs de type physiologique, dont la dyslexie est la manifestation, trouve ses fondements.
Alors que le Plan d’action indique, de façon étonnamment précise, qu’il convient « d’éviter tout déterminisme scolaire et social » (p.6), il existe pourtant, en recherche cognitive, d’autres courants que le courant fonctionnaliste, mais ces courants - constructiviste et socio-constructiviste - largement dominés en France, parviennent difficilement à se faire entendre et à trouver les moyens de se maintenir et de se développer.
Ajoutons ici que cette domination actuelle du courant cognitiviste renvoie à un facteur géopolitique, dans la mesure où la recherche conduite en France dans ce secteur est fondamentalement dépendante de celle qui domine aux Etats-Unis et dans les pays anglophones en général. Les pistes de recherche suivies en France se situent en effet pour l’essentiel dans la filiation des pistes que suivent les chercheurs anglophones. Le courant qui dans ces pays est favorable à une appréhension des difficultés d’entrée dans l’écrit en terme de dyslexie étant aujourd’hui très puissant, c’est en terme de dyslexie que travaillent les chercheurs français soumis à cette influence et soucieux de reconnaissance internationale. Ce que l’on appelle « mondialisation », et qui est dans une large mesure la manifestation de l’empire de la puissance américaine, n’est plus une menace dans ce secteur de la recherche, c’est une réalité. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que, dans ce courant de recherches, les références bibliographiques sont presque exclusivement en anglais.
Un second facteur politique, national celui-ci, explique la domination du courant fonctionnaliste. Il s’agit du choix effectué par les responsables de la recherche au ministère de l’Éducation nationale d’apporter un soutien exclusif au développement au courant dit des « sciences cognitives ». Ce soutien, récent, tend alors à faire apparaitre le courant au sein duquel se trouvent les chercheurs favorables à l’hypothèse de la dyslexie comme étant « la science » alors qu’elle n’en est qu’une des formes particulières.
L’Observatoire national de la lecture (désormais ONL), créé il y a quelques années, officialise en quelque sorte la reconnaissance de ce courant comme recherche officielle. En effet, cet observatoire observe peu : ses travaux empiriques sont rares. Sa fonction est moins d’observer que de conseiller. On pourrait le considérer comme une structure voisine du Conseil économique et social s’il était plus représentatif des différentes catégories d’acteurs et disposait d’une plus grande autonomie dans ses orientations. En vérité, depuis sa création, sa composition est le reflet des orientations politiques officielles en matière de lecture. On y retrouve donc de façon massive des chercheurs appartenant au seul courant de la psychologie cognitive ou à tout le moins ne manifestant pas de réserve publique vis-à-vis de celle-ci. On n’y trouve donc pas de chercheur représentant le courant constructiviste ou socio-constructiviste.
Ce caractère maison est apparu dans la publication conjointe en janvier 2006 d’un rapport co-signé avec l’Inspection générale. Le fait - que l’on peut institutionnellement juger « contre-nature » - qu’un observatoire à vocation scientifique soit associé à un organe à vocation prescriptive témoigne de l’hégémonie actuelle du courant cognitiviste dans les sphères dirigeantes, sa façon de penser la lecture tendant dès lors à se confondre avec la pensée tout court.
Le rôle qu’a pu jouer l’ONL dans la préparation des orientations prises en 2006 par le ministère de l’Education nationale est manifeste. L’ONL en effet a été le lieu à partir duquel ces orientations ont été testées. La lecture du rapport Apprendre à lire (1998) est parfaitement explicite à cet endroit. Largement diffusé lors de sa sortie, mais n’ayant pas suscité beaucoup de réactions (voir toutefois Fijalkow, 1999), on peut le considérer comme la matrice des décisions actuelles. Ainsi par exemple de la liberté pédagogique dans le choix des « méthodes ».
En cette matière, l’Observatoire n’appellera pas à la liberté pédagogique de l’enseignant. Cette liberté est souvent illusoire puisqu’elle peut masquer l’attachement à un système de formation, à l’autorité d’un inspecteur, au confort d’une routine. L’Observatoire peut et doit dire clairement de quel côté il estime que se situe, dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, la vérité scientifique (vérité provisoire, nous l’avons rappelé dans les premières pages de ce rapport) (1998, p.86).
À l’heure actuelle, nous pouvons affirmer que la conception de l’enseignement de la lecture la plus appropriée à ce que nous savons de l’apprentissage de la lecture est celle qui insiste sur la découverte, de manière précoce, du principe alphabétique » (1998, pp.91-92).
En cette matière, l’Observatoire n’appellera pas à la liberté pédagogique de l’enseignant. Cette liberté est souvent illusoire puisqu’elle peut masquer l’attachement à un système de formation, à l’autorité d’un inspecteur, au confort d’une routine. L’Observatoire peut et doit dire clairement de quel côté il estime que se situe, dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, la vérité scientifique (vérité provisoire, nous l’avons rappelé dans les premières pages de ce rapport) (1998, p.86).
De la découverte du principe alphabétique à l’exigence de la mise en œuvre d’une méthode syllabique, il n’y avait qu’un pas. Il a été franchi huit ans après.
Du côté de la recherche donc, l’hégémonie du courant cognitiviste dans les universités, s’appuyant sur la domination de ce courant dans la recherche américaine et soutenu par le ministère de l’Éducation nationale, confère dès lors une nouvelle jeunesse à l’hypothèse quelque peu défraichie de la dyslexie.
À ce courant de recherche, auquel les psychologues cognitivistes donnent le ton, se rattachent les médecins et les orthophonistes qui s’intéressent à la lecture. Ces milieux médicaux et paramédicaux ont en effet entrepris au cours des dernières années une intense activité de lobbying. L’offensive qui a conduit à l’officialisation de la dyslexie est venue à la fois de l’intérieur de l’Education nationale - de la part de médecins scolaires à la recherche d’une légitimité permettant leur survie dans l’éducation nationale - et de l’extérieur de celle-ci - provenant d’orthophonistes intéressés par ce qui se révèle indiscutablement, quelques années après la promulgation du texte de 2002, être un nouveau marché.
Les orthophonistes, en France – mais pas en Suisse romande ou au Québec – sont formés dans les facultés de médecine. Ils interviennent quand les problèmes sont posés en terme de dyslexie. Ils sont organisés en deux associations d’orientation et d’importance très différente, mais aussi en groupes particulièrement actifs.
La première, la FNO, qui est aussi la plus puissante, est remarquablement organisée, disposant de journaux, organisant des colloques, produisant des outils pédagogiques. Interlocuteur reconnu des pouvoirs publics, elle s’inscrit dans l’orientation mécaniciste qui est celle de la médecine actuelle et, par conséquent, travaille étroitement avec les seuls chercheurs du courant de la psychologie cognitive dans une perspective très phonocentriste (voir son catalogue).
Bien que le champ de compétence des orthophonistes soit celui des difficultés d’apprentissage, il est intéressant de constater que certains d’entre eux, que l’on pourrait qualifier d’« intégristes », jugent opportun depuis quelques années d’intervenir aussi en amont de ce champ, en condamnant certaines « méthodes » et en en produisant d’autres, notamment un manuel de lecture destiné au CP dont l’éditeur n’est autre que celui de l’immortelle méthode Boscher.
La seconde association d’orthophonistes, la FOF, orientée vers la psychologie clinique et donc vers une approche très relationnelle des problèmes de lecture, parait beaucoup moins puissante, organisée, reconnue. Le débat sur les « méthodes de lecture » n’est pas le sien, conformément à la position classique en psychologie clinique consistant à mettre l’accent sur le sujet en difficulté plutôt que sur l’objet qui fait difficulté, ici la lecture.
L’offensive qui s’est traduite par l’officialisation de la dyslexie, après un siècle de débats, s’est appuyée enfin sur un milieu associatif très actif, celui des associations de parents d’enfants dyslexiques, en lien avec les milieux de la recherche précédemment cités et trouvant dans leurs énoncés la légitimité scientifique nécessaire à leurs revendications. On retrouve en effet les chercheurs du courant cognitiviste dans la liste d’adhérents de la principale association de parents d’élèves dyslexiques. L’adhésion de ces chercheurs s’explique sans doute non seulement par les choix idéologiques et épistémologiques évoqués plus haut, mais aussi par leur espoir d’acquérir par ce moyen dans l’opinion une crédibilité et un crédit moral encore fragiles.
L’écoute dont a bénéficié le lobby en question – médecins, orthophonistes, parents psychologues cognitivistes – repose fondamentalement sur le crédit étonnant dont disposent traditionnellement les médecins en France. Il est clair en effet, au moins depuis Molière, qu’une proposition émise par un médecin apparait à un non-médecin, notamment dans l’Education nationale, comme une proposition indiscutable. Ainsi, toute phrase commençant par « Du point de vue médical » dispose d’une crédibilité à priori à laquelle l’hypothèse centenaire de la dyslexie doit sans doute son exceptionnelle longévité.
Le succès de ce lobby s’explique aussi sans doute par le désarroi d’un certain nombre de responsables de l’Education nationale qui, las de se voir reprocher l’inefficacité de l’institution en matière de lecture, se sont laissés d’autant plus facilement convaincre par ces discours à connotation médicale que ceux qui les tenaient proposaient de reprendre à leur charge un problème qu’elle ne savait comment traiter, soulagée finalement de faire passer à d’autres « la patate chaude » des mauvais lecteurs.
L’intense travail de lobbying qui a été mené ces dernières années comportait nécessairement ce qu’il est convenu d’appeler un plan de communication. Il ne s’agit pas ici de tomber dans la thèse d’un complot savamment organisé par des officines occultes, mais de s’en tenir aux faits observables, c’est-à-dire à la multiplication ces dernières années des interventions dans la presse consacrées à « la dyslexie ». On a ainsi pu relever la fréquence accrue, après des années de silence médiatique, d’articles et d’émissions de radio et de télévision traitant de cette question. C’est ainsi que l’on forge l’opinion.
La façon dont les mauvais lecteurs sont présentés dans la presse mériterait une étude spécifique. Dans l’attente de celle-ci, notons deux caractéristiques frappantes :
- D’une part, la question est traitée de façon unilatérale, comme si les idées émises étaient évidentes et n’admettaient pas de contradiction. Seul le point de vue médical est exprimé et son auteur - journaliste ou documentariste - ne fait jamais apparaitre qu’il existe d’autres façons d’expliquer les faits. La question traitée n’est donc pas celle des difficultés d’entrée dans l’écrit mais d’emblée celle de « la dyslexie ».
- Cette question est présentée d’autre part sur le mode émotionnel, celui de l’appel aux bons sentiments qu’affectionnent aujourd’hui les médias. L’accent est donc mis sur la souffrance, celle des enfants et/ou celle des parents, tandis que l’incapacité de l’école à reconnaître l’existence de cette souffrance fait l’objet d’allusions discrètement accusatrices. La reconnaissance de la dyslexie apparait alors comme une cause humanitaire, où les méchants sont dans l’école et les gentils hors de celle-ci, médecins et orthophonistes. Notons au passage qu’un traitement analogue est infligé à bien d’autres sujets médiatiques, qu’il s’agisse des enfants « surdoués » ou autistes par exemple.
Après avoir évoqué le rôle des chercheurs, des milieux médicaux, des parents et des médias, revenons-en à celui de ceux qui ont en charge la responsabilité du système éducatif. Nous avons évoqué plus haut l’appui massif apporté par le Ministère au courant le plus dur de la recherche en sciences humaines, mais d’autres aspects sont à évoquer.
Ainsi en est-il du développement d’une politique de différenciation qui contraste fortement avec la volonté d’homogénéité qui caractérise classiquement l’éducation nationale en France. C’est ainsi qu’au niveau des établissements, la création des ZEP a donné naissance, dans le premier degré, à deux types d’écoles, les écoles ZEP et les écoles hors ZEP. Dans le 2e degré, la multiplication des dérogations à la carte scolaire a conduit également au développement d’établissements fréquentés par des populations sociologiquement différentes. Il en est de même dans l’enseignement supérieur, où la création de nouvelles universités et d’antennes dans les villes moyennes a accentué à son tour une différenciation sociale des établissements. C’est dans ce contexte que l’on peut penser que la différenciation observable au niveau des établissements se prolonge maintenant au niveau des élèves, conduisant ainsi à considérer certains comme des lecteurs sans problème et les autres comme dyslexiques, ces derniers nécessitant dès lors des moyens supplémentaires. La politique d’origine américaine de discrimination positive (« affirmative action ») parait donc trouver ici un nouveau terrain d’application.
Il faut également s’interroger sur les effets de la politique libérale qui s’applique à l’ensemble des services publics, sachant que l’effacement de l’État devant le marché est une des règles de la politique actuelle. Dans le cas qui nous intéresse ici, on peut ainsi prévoir qu’il est peu probable que la prise en charge par la Santé des enfants en difficulté se traduise par la création de postes de médecins scolaires, mais plutôt par un glissement hors de l’école de cette prise en charge et/ou par l’intervention dans l’école de personnels de santé.
En ce qui concerne les enfants mauvais lecteurs, l’enseignant semble en effet appelé à s’effacer devant l’orthophoniste et les RASED à faire une large place à des structures médicales. Les mesures administratives préconisées par le Plan d’action constituent en effet un quadrillage systématique par les réseaux de Santé de la population des mauvais lecteurs. Sa lecture attentive montre que ce qui est nouveau dans ce plan, c’est le gigantesque investissement de la Santé dans ce qui était jusqu’ici une question de la seule compétence de l’École.
La médicalisation ici, comme la mondialisation plus haut, n’est donc plus une menace mais une réalité puisque à ce jour ce sont à trois acteurs - Éducation nationale, Santé et Secrétariat d’État aux personnes âgées et aux personnes handicapées - et non plus à un seul que revient la question des difficultés d’apprentissage de la lecture. L’Éducation nationale n’est plus seule maitresse du jeu. C’est ainsi que le Plan d’action, justifiant la participation de la secrétaire d’État aux personnes âgées et handicapées, parle de la population visée en termes d’« élèves handicapés » (pp. 15 et 29, par exemple). Il propose alors une « orientation en CLIS et en UPI pour des formes graves de dyslexie ou de dysphasie » (p.48). Les intervenants prévus dans les actions préconisées prévoient, par exemple, « un suivi par les médecins de l’Éducation nationale ou des services de soins (SESSAD…) ou des professionnels libéraux en relation avec des réseaux de soins (orthophonistes, psychométriciens, médecins… » (p.12). De même, l’action n°8 consiste à : « Donner des recommandations aux DDASS afin qu’elles identifient, au sein de chaque département, un réseau de professionnels libéraux compétents pour l’élaboration de diagnostics et le suivi des prises en charge en lien avec les centres référents précités » (p.27).
Il est donc clair que, dans le débat qui oppose de longue date les personnels d’éducation et de santé, les seconds viennent de prendre l’avantage sur les premiers. Les enfants mauvais lecteurs constituent une part de marché qui aiguise l’appétit des milieux de santé. Sur le modèle des banquiers disant hier « Votre argent m’intéresse », le mot d’ordre des professions de santé pourrait aujourd’hui être « Votre enfant m’intéresse ». Il serait candide de ne pas voir que, au-delà des discours scientifiques et humanitaires, les difficultés d’entrée dans l’écrit mobilisent des intérêts professionnels importants. Dans un monde promis au marché, le temps semble donc venu de « l’enfant économique ».
La cause étant entendue et la victoire acquise, le débat dans le monde médical est maintenant de savoir à qui revient ce marché. On en prendra pour exemple les propos suivants d’un médecin bordelais publiés dans la page « Horizons Débats » du Monde du 6 janvier 2001 sous le titre alléchant « Dyslexie : attention aux confusions ».
« Tous les enfants qui rencontrent des difficultés d’apprentissage de la lecture ne sont pas dyslexiques ou dysphasiques. Nombre d’entre eux sont atteints de troubles sensoriels, immatures, avec dysharmonie de la personnalité justifiant non pas l’intervention prioritaire d’un orthophoniste mais plutôt celle d’un oto-rhino-laryngologiste, d’un pédopsychiatre, d’un pédiatre ou d’un médecin généraliste ».
Face à cette offensive de certains courants de la recherche, des milieux médicaux, des médias, et vu la position adoptée par les responsables du système éducatif, il importe maintenant de décrire les forces qui, traditionnellement, se retrouvent dans le camp opposé.
Les forces favorables à une approche sociale et pédagogique
Si les chercheurs favorables à d’autres types d’explication, nous l’avons vu, ne sont pas en position de faire entendre leur voix, les pédagogues ne paraissent pas davantage en mesure de croiser le fer avec leur adversaire traditionnel.
L’INRP qui, avec le CRESAS, fut hier à la pointe de ces combats, n’est plus guère aujourd’hui mobilisée par cette question. En matière de lecture, les programmes qu’elle a subventionnés et les recrutements qu’elle a opérés ont fait plus de place au courant dominant de la psychologie cognitive qu’aux autres courants et la crise grave qu’elle vit actuellement l’absorbe tout entière.
Les mouvements pédagogiques qui, comme l’ICEM, le GFEN, l’AFL, sont le fer de lance dans le paysage pédagogique français d’une conception de la lecture plus large que la conception cognitiviste, semblent opérer une traversée du désert qui, même si l’histoire laisse penser qu’elle ne durera pas quarante ans, ne leur permet cependant pas à ce jour d’opposer un refus aussi clair et audible aux mesures en cours que ce fut le cas dans le passé. Certaines pages de Freinet, par exemple, mériteraient ainsi d’être remises en mémoire tant elles demeurent actuelles.
Les syndicats d’enseignants, autres défenseurs traditionnels d’une approche centrée sur la défense de l’école, ne semblent guère davantage capables de mobiliser leurs troupes sur cette question. L’heure ne semble pas propice aux prises de position radicales sur la question, mais tout au plus à l’organisation de débats contradictoires, suivis de comptes rendus écrits sagement équilibrés, le syndicat se positionnant de la sorte plus en arbitre d’experts qu’en acteur à part entière.
Les enseignants eux-mêmes semblent résignés à ces mesures, considérant comme leurs syndicats qu’il s’agit de querelles d’experts dépassant leurs compétences professionnelles (cf. l’autorité du discours médical). Certains enseignants ont sans nul doute accueilli avec soulagement l’officialisation de la dyslexie par l’Éducation nationale, celle-ci constituant un appoint à leur propre activité avec des élèves ayant des difficultés. Pour ceux, plus rares, en désaccord avec la conception de la lecture inspirée par le courant cognitiviste qui est celle de la majorité des orthophonistes, les réactions sont plus réservées vis-à-vis de ce nouveau partenaire qui leur est imposé. L’avenir nous dira si l’accroissement soudain de clientèle dite « dyslexique » que l’on observe dans la salle d’attente des orthophonistes constitue un phénomène durable. Ajoutons que quelques orthophonistes rigoureux veillent au respect de la frontière entre ce qui est pédagogique et de ce qui est médical et refusent déjà les cas qui ne leur paraissent pas relever de leur compétence mais de celle de l’école.
Hormis les parents d’enfants dyslexiques organisés en association, évidemment ravis de la victoire remportée, les autres parents, regroupés ou non en associations de parents d’élèves, ne semblent pas conscients des risques de stigmatisation que comporte un tel étiquetage. Les parents constituent pourtant, l’épisode de la consommation de bœuf dans les cantines en témoigne (FRAÏSSÉ, 2006), une force considérable capable de faire changer une politique. Il est vrai toutefois que, au-delà d’un déficit d’information, certains parents trouvent confortable le changement qui est en train de s’opérer. Le fait de faire apparaitre les difficultés que rencontre leur enfant comme un « trouble », délicat euphémisme inventé afin d’éviter le terme choquant de « maladie », présente en effet d’importants bénéfices psychologiques pour eux : tout d’abord, cette façon de présenter l’origine des problèmes soulage leur culpabilité, tandis que la prise en charge médicale présente une qualité d’accueil confortable et personnalisée inconnue à l’école.
En fait, seuls certains personnels des RASED, directement concernés, paraissent manifester des inquiétudes. Le temps n’est plus toutefois des débats d’idées de l’après-guerre et des années soixante, opposant aux affirmations médicales la légitimité d’interventions menées dans le cadre de l’école par des psychologues scolaires et des rééducateurs. Les personnels des RASED se sont en effet éloignés d’une approche cognitive au bénéfice d’une position clinique sinon psychanalytique. Celle-ci néanmoins les isole, à égale distance d’une psychologie des fonctions devenue l’alliée de leur adversaire et des courants constructiviste et socio-constructiviste qui ne leur paraissent épouser que partiellement leurs préoccupations.
Il reste, pour compléter ce rapide panorama, à évoquer les partis politiques de gauche qui, traditionnellement, sont plus sensibles à une explication faisant appel à l’éducation et à la société qu’à d’hypothétiques facteurs organiques. À vrai dire, le renversement de position que l’on tente ici d’expliquer est parfois…renversant pour l’observateur. C’est ainsi, par exemple, que les orientations prises par un ministre socialiste n’étant pas paru suffisantes à un parlementaire communiste, celui-ci a fait ajouter au projet de loi de modernisation sociale présenté devant l’Assemblée Nationale un amendement instaurant un dépistage systématique de la dyslexie ou de la dysorthographie chez tous les enfants, par le biais d’un test à l’occasion d’une visite médicale à l’entrée du CP. Cette disposition n’a toutefois pas été retenue lors de sa présentation au Sénat. Le fait est néanmoins stupéfiant pour qui a connaissance des positions adoptées par le Parti communiste dans le passé dans les débats à ce sujet.
En bref, le succès des forces favorables à la dyslexie s’explique tant par le regain de vigueur que leur a apporté la conjoncture que par l’effondrement des forces favorables à une autre analyse et à d’autres solutions, dans le contexte politique général.
Conclusion
Pour continuer avec la métaphore guerrière que nous avons utilisée tout du long, nous ne saurions conclure autrement qu’en rappelant que gagner une victoire n’est pas gagner la guerre. Pour faire avancer la question dans une autre direction, il nous parait alors nécessaire de la reprendre sur d’autres bases.
En tout premier lieu, il faut souligner que la question des difficultés d’entrée dans l’écrit visée par le Plan d’action discuté ici ne constitue pas un cas isolé, une sorte de dérapage politique concernant une question localisée, même si celle-ci vise quand même 4 à 5 % des enfants. On ne peut dire qu’il s’agit d’un cas isolé pour deux raisons :
- D’une part, ce plan s’inscrit dans un contexte général de régression des politiques relatives à l’entrée dans l’écrit. La volonté d’un retour à un enseignement fondé sur les seules correspondances grapho-phonétiques en témoigne, reposant sur la peur que la didactique les ait exclues de l’enseignement, celle-ci résultant d’une confusion entre le discours et les faits. De cette grande peur que connait la France lettrée à propos de la lecture, la construction sociale de l’illettrisme témoigne également (Lahire, 1999).
- D’autre part, le fait que nous nous soyons centré sur la situation française ne signifie nullement que celle-ci soit unique. En fait, les mêmes problèmes, les mêmes débats et, surtout, les mêmes solutions sont en discussion dans les pays occidentaux, à commencer par les Etats-Unis.
Il serait donc erroné de considérer que la situation française est originale, et plus encore qu’elle est exceptionnellement mauvaise. En fait, et contrairement à ce que déclare la cellule interministérielle, il n’y a pas en France « un retard par rapport aux pays anglo-saxons et à ceux du nord de l’Europe » (p.7), du moins s’il s’agit du niveau en lecture. La comparaison internationale la plus valide, produite par l’OCDE, indique en effet que les enfants français de 9 ans sont en 4e position derrière la Finlande, les Etats-Unis et la Suède, et ceux de 14 ans en 2e position derrière la Finlande (Elley, 1992). S’il existe indiscutablement en France des enfants qui ont des difficultés à entrer dans l’écrit, les faits, qui sont têtus, indiquent au contraire que la situation française est une des meilleures du monde. Aux Etats-Unis, des chercheurs, étonnés puis indignés des discours négatifs tenus sur l’éducation dans leur pays, ont commencé à démonter les mécanismes de ce qu’ils appellent « une crise fabriquée » (Berliner et Briddle, 1995). Il serait souhaitable de procéder à un travail du même ordre en France.
Face à une théorie cognitiviste de la lecture qui tend à devenir pensée unique, il est nécessaire de rappeler qu’il existe des faits solides en faveur d’une autre approche théorique des difficultés dans cet apprentissage.
De ce point de vue, il importe d’abord de rappeler avec force que les mauvais lecteurs, contrairement à une approche qui ne connait que des individus, se recrutent pour la plupart dans certains milieux sociaux, les milieux socialement défavorisés. C’est un fait statistique, mille fois vérifié, que l’échec scolaire en général, et au cycle 2 en particulier, est fondamentalement un fait sociologique. Ces jeunes, des garçons le plus souvent, se caractérisent par une histoire sociale et scolaire difficile, ce dont tous les enseignants sont parfaitement conscients, mais qui curieusement échappe aux praticiens de la santé. Les étiqueter « dyslexiques » quand ils sont en début de scolarité, c’est masquer sous une étiquette médicale un problème social.
À ce problème social, il y a des solutions. Il y a d’abord des solutions qui relèvent de l’action politique contre les inégalités sociales, mais celles-ci sont hors de notre champ. Il y a aussi, secondairement, des solutions pédagogiques. Ces solutions sont celles sur lesquelles repose le pari républicain de l’école pour tous.
En mettant à l’écart, sous prétexte de mieux les prendre en charge, les enfants qui ont des difficultés à comprendre le sens de l’école et de ce qui y est enseigné, on peut craindre qu’on ne s’engage dans une voie dont l’expérience des tentatives analogues a montré qu’elle conduit à une impasse ou à une aggravation du problème. On peut penser, par exemple, aux classes spéciales ou aux groupes de niveau. Par contre, encourager la recherche pédagogique en soutenant les innovations, en favorisant, après une évaluation rigoureuse leur généralisation contrôlée, permettrait sans doute de réduire le nombre des enfants en difficulté. De telles solutions existent (Le Bastard et Suchaut, 2000), mais demeurent sans lendemain faute d’être prises en considération par l’Éducation nationale.
À côté des enfants de milieu défavorisé qui constituent la masse des mauvais lecteurs, il existe toutefois, mais dans une faible proportion, un certain nombre d’enfants qui avaient tout pour réussir et qui pourtant piétinent au seuil de l’écrit. Ces enfants, peu nombreux, sont souvent issus des classes moyennes. Ce sont leurs parents qui animent ou soutiennent les associations de parents d’élèves dyslexiques. La causalité est ici toute différente. Dans le cas de ces enfants, une analyse clinique du contexte familial montre que ce n’est pas parce que la lecture n’a pas de sens pour l’enfant qu’il la refuse, mais, au contraire, que c’est parce qu’il a très bien compris quel sens elle revêt aux yeux de ses parents qu’il se refuse à son apprentissage. Dans ce second cas, la lecture constitue en fait non pas un terrain que l’enfant refuse mais, au contraire, le terrain qu’il choisit pour livrer bataille. Ce qui apparait en effet, à l’étude des cas que nous avons rencontrés, c’est que l’enfant choisit le symptôme de la lecture pour faire pression sur ses parents, son refus d’apprentissage constituant alors, sur le mode général, un message à décrypter, mais dont la signification précise varie selon le contexte familial. Le fait que, à la tête des associations de parents militant pour la reconnaissance de la dyslexie, on trouve nombre de psychologues, psychiatres, enseignants, et divers professionnels du livre est ici particulièrement éloquent, car la lecture étant particulièrement valorisée par eux, la lecture apparait bien comme un moyen particulièrement pertinent de les atteindre.
On comprend évidemment la souffrance des parents concernés, ainsi que le processus d’attribution externe qui les conduit à rechercher une origine des difficultés de leur enfant excluant tout facteur familial ou éducatif intolérable dans ce type de milieu. L’hypothèse d’un trouble organique fournit en effet la réponse anxieusement recherchée. Son caractère insaisissable même contribue à cette fonction. Paradoxalement, le fait d’exercer une profession où le livre occupe une place centrale, loin de constituer une arme pour identifier la source du problème, empêche d’identifier la causalité effective. De ceci résulte que seul un regard extérieur, un regard clinique attentif à ce qui se joue dans la famille, peut amener ce type de parents à identifier ce qui fait problème à leur enfant. Leur souffrance, aussi respectable soit-elle, ne saurait pourtant conduire à ce que les problèmes du plus grand nombre, problèmes d’origine sociale et pédagogique le plus souvent, soient masqués par un étiquetage médical qui ne correspond au bout du compte qu’à un nombre de cas extrêmement limité, tels que plus d’un praticien expérimenté nous a dit pouvoir les compter sur moins de doigts que ne compte une seule main.
Le Plan d’action présenté conduit donc à investir un maximum de moyens sur un minimum d’enfants. En concentrant ceux-ci sur les enfants des classes moyennes, il favorise des enfants déjà favorisés par leur naissance. En se désintéressant de ceux qui sont défavorisés par leur naissance et dont les difficultés ont une autre origine, il contribue à faire en sorte que ces derniers soient encore plus défavorisés. Accordant enfin sa confiance à des intervenants appartenant à ces mêmes classes moyennes plutôt qu’à ceux de l’école républicaine, il renforce encore le caractère ségrégatif de la ségrégation initiale.
Ainsi, selon nous, les difficultés d’entrée dans l’écrit renvoient, dans la majorité des cas, à des déterminants sociologiques et donc pédagogiques. Ils renvoient parfois, mais plus rarement, tout particulièrement pour des enfants de classe moyenne, à des déterminants psychologiques internes à la sphère familiale. Ils ne renvoient que de façon tout à fait exceptionnelle à des déterminants médicaux, mais, même dans ces cas rarissimes dont seule la raison nous commande d’accepter l’existence, ceci n’exige nullement qu’il soit fait appel à la notion douteuse de « dyslexie » ou à son indéfinissable succédané appelé « trouble spécifique du langage ». De ceci, il résulte que le plan d’action mis en place ne saurait que susciter les craintes les plus vives.
En bref, la thèse que nous soutenons est qu’il existe un courant de recherche, positiviste et mécaniciste, qui, prenant modèle sur la physiologie en tant que science et sur la médecine en tant que pratique, a envahi de façon massive les universités, puis les sphères décisionnelles de l’Éducation nationale, soutenu par un puissant lobby médical et paramédical. C’est de ce même courant qu’émanent les rapports de l’INSERM relatifs aux psychothérapies et aux troubles de la conduite enfantine, qui ont suscité maints débats parallèles à celui qui nous occupe ici. L’offensive dont la lecture fait l’objet n’est donc qu’un cas particulier dans un combat qui, sur d’autres fronts – psychothérapies, prévention de la délinquance – tentent de faire reculer l’Éducation des lieux qui lui sont réservés pour y implanter des structures et des pratiques relevant de la Santé. Le courant se référant aux sciences sociales, constructiviste ou socio-constructiviste, a peine à résister à ce raz-de-marée. Le cas de la dyslexie que nous avons examiné plus précisément montre que les milieux de l’éducation ont su dans le passé limiter les prétentions de la Santé à intervenir dans les champs qui étaient les leurs jusqu’ici. Il semble que, dans le contexte idéologique actuel, leur vigilance ait été mise en défaut et que les formes « nouvelles » que revêt l’approche mécaniciste dans le cas de la lecture ou le confort qu’elle leur procure les ait abusés.
Références bibliographiques
Berliner, D.C. & Biddle B.J., (1995), The manufactured crisis, Cambridge, Mass., Perseus Books.
CRESAS, (1972), La dyslexie en question, Paris, A. Colin.
Ellis, A.W., (1989), Lecture, écriture et dyslexie, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé.
Fijalkow, J, (1996), Mauvais lecteurs, pourquoi ?, Paris, PUF (3° édition, revue et corrigée, traduit en espagnol et en grec).
Fijalkow, J.(1999), Un coup pour rien. Dossiers des sciences de l’éducation, 1, 137-155.
Fraïssé C.(2006), « Les représentations de la vache folle », Paris, Ed. Zagros.
Lahire, B., (1999), L’invention de l’« illettrisme », Paris, La Découverte, 1999.
Le Bastard, S., Et Suchaut, B., (2000), Lecture-écriture au cycle 2 : évaluation d’une démarche innovante, Cahiers de l’IREDU, N° 61, 170 pages.
Lecture : le point de vue de scientifiques, Le Monde de l’Education, 2006, Mars, 16.
Observatoire national de la lecture, (1998), Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux, Paris, Odile Jacob.
Plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage (2001),
(http ://www.education.gouv.fr/discours/2000/dyslex.htm)
Sauvons la lecture [http ://www.lapetition.com/sign1.cfm ?numero=1058 ]
Une démarche pédagogique : l’école à 91 ans
Ce texte peut être considéré comme une illustration du texte de Danielle De Keyzer paru dans le numéro précédent sur l’emploi de la Méthode naturelle de lecture et d’écriture en alphabétisation adulte.
Voici une démarche proposée dans le cadre d’un cours du soir pour travailleurs qui venaient en formation deux fois deux heures par semaine et qui apprenaient à lire et à écrire avec la Méthode naturelle de lecture et d’écriture (MNLE). Le groupe était alors constitué de 8 personnes, hommes et femmes, belges et étrangers de différentes nationalités, effectuant divers métiers. Ces personnes s’exprimaient aisément à l’oral, débutaient à l’écrit avec cependant, comme dans tous les groupes, une assez grande hétérogénéité. Au moment où la démarche a été réalisée, elles avaient déjà acquis la maitrise du geste graphique, la reconnaissance globale de mots familiers et certaines commençaient à repérer des analogies : « c’est comme ».
Centrée sur la production d’écrits et alternant textes de travail produits par les apprenants et documents authentiques, la MNLE permet de se confronter aux différentes fonctions et au fonctionnement du langage écrit. Le travail à partir du texte L’école à 91 ans aborde plus particulièrement la lecture suivie de petits textes inconnus – un article de journal et un extrait de roman pour adultes – qui permet d’approcher les fonctions informatives et patrimoniales de l’écrit. Elle est basée sur la production d’écrits personnels, permettant d’aborder la fonction identitaire et les codes de l’écrit : code graphique, code grammatical, codes alphabétique et orthographique (prise de conscience de la correspondance entre les mots de la chaine parlée et de la chaine orale, des phonèmes, de la combinatoire, mais également de la non correspondance terme à terme entre la chaine parlée et la chaine écrite).
Supports :
- L’article de journal choisi reproduit en 3 versions différentes (voir ci-dessous), chaque version en autant d’exemplaires que de participants.
- les textes produits par les participants au fur et à mesure de leur production, tapés entre deux séances de travail, en autant d’exemplaires que de participants.
- Un roman ou récit autobiographique racontant une expérience proche du vécu des participants et une photocopie par personne d’un extrait pouvant être lu et compris par le groupe.
Déroulement de la démarche (3 séances de 2h/2h30)
1) Comprendre un article de journal (1h/1h30)
Dans la « petite gazette » d’un journal quotidien, un article parle d’une femme de 91 ans qui a commencé à apprendre à lire et à écrire. L’article est court, son contenu directement lié au vécu du groupe. Il contient beaucoup de mots familiers mais ne pourrait être directement lu et compris par les participants sans une médiation, une démarche construite par le formateur. Aussi pour aborder ce texte, et de manière plus générale, pour habituer ces personnes débutantes à manipuler et traiter des écrits complexes - ici le journal quotidien -, j’ai utilisé le procédé classique suivant. Chacun reçoit une première version de l’article presque entièrement masqué. Seule la photo l’illustrant et quelques mots apparaissent. Il s’agit de mots qui devraient pouvoir être lus par le groupe et qui permettent de faire des hypothèses sur l’histoire relatée par l’article. Une fois les mots lus, chacun est amené à imaginer l’histoire, à faire des hypothèses, à débattre avec le groupe des différentes hypothèses proposées.
Une deuxième version de l’article est alors distribuée, plus complète que la première. Chacun est invité à la lire, à partager avec le groupe les mots qu’il a lus, compris, à confronter ce nouveau texte aux hypothèses émises et, le cas échéant, à les modifier ou à choisir celle qui se dégage suite à ce complément d’informations.
L’article entier (version 3) est alors distribué. Confirme-t-il l’histoire ? Chacun va vérifier… L’article entier est lu, avec l’aide du formateur, notamment pour les noms propres.

De gauche à droite versions 1 à 3
Cette manière de travailler un texte a pour objectifs d’empêcher une lecture linéaire ânonnée, de susciter l’intérêt et le questionnement, d’amener les apprenants à imaginer une histoire à partir de quelques mots, à faire des hypothèses, les confronter oralement à celles des autres, les confronter au texte, ce qui développe la capacité à inférer. Elle est très intéressante aussi à utiliser avec des déchiffreurs, mauvais lecteurs.
2) Ecrire son histoire, une expérience, en lien avec l’article
La raconter (30’/1h)
« Et nous, dans notre jeunesse, avons-nous été à l’école ? Oui, non, pourquoi ? »
Chacun va raconter son histoire au plus proche de l’article, ce qui correspond à la situation d’expression spontanée dans les groupes débutants, la première phrase dictée inspirant les suivantes. Le formateur va écrire au tableau les différentes histoires sous la dictée de chacun, en colonnes sous la forme suivante :
Ce listing, tapé et distribué au groupe lors de la séance suivante, va alors être travaillé à la lecture comme « texte de base » de manière classique en MNLE (1h/1h30) :
- lecture de textes gammes (le formateur/un apprenant montre des éléments à un apprenant qui dit la phrase montrée, par exemple : « Dans ma jeunesse, je n’ai pas réussi à l’école parce que j’ai eu un accident »);
- dictée recherche (le formateur dicte une histoire en prenant un morceau dans chaque colonne, les apprenants repèrent les éléments dans les colonnes et les écrivent en les recopiant);
L’utilisation répétée des mêmes expressions, mots et structures va permettre aux apprenants de les mémoriser tant à l’oral qu’à l’écrit. Et dès lors d’entrer dans leur « dictionnaire vivant », mobilisable face à des situations inconnues. Cela permettra aussi, éventuellement, de se questionner sur les transformations observées dans l’axe vertical (petit/petite), transformations que l’on n’abordera, à ce stade, que si une question est posée à ce sujet. Et que, bien sûr, on ne recherchera pas artificiellement. Elles sont là parce que le groupe est mixte. Il n’y aurait eu que des femmes, on n’aurait écrit que ‘quand j’étais petite’. Mais on ne les fuit pas non plus ! Toute proposition cohérente avec le sujet est acceptée et écrite !
L’écrire (30’/1h)
Chacun va alors écrire son histoire, en commençant par une phrase du listing, puis en essayant de poursuivre celle-ci, de la développer, en utilisant ses outils (mots mémorisés, textes travaillés, listes de mots, cahier d’analogies,…) et avec l’aide du formateur qui va écrire les mots inconnus (par exemple « trousseaux » dans le texte d’Aïcha – texte 4) et amener l’apprenant à en écrire lui-même en le soutenant par le questionnement : Aïcha veut écrire ‘mariage’, mot qui ne se trouve pas dans les « dictionnaires vivants » mis en place. Je vais lui proposer d’essayer de l’écrire seule en faisant appel à ses connaissances. Je prononce ‘mariage’ : « C’est comme quel autre mot ? Qu’est-ce qu’on entend au début ? Quelle lettre tu écris en premier ? ». Le dialogue se construit en fonction des réponses, de ce que l’apprenant écrit spontanément (ma ou m ou rien,…). C’est ce travail, à quatre mains entre l’apprenant et le formateur, qui va permettre à l’apprenant de construire le système graphophonétique et la combinatoire (le ‘mariage’ des lettres) mais aussi de prendre conscience de la non correspondance entre chaine parlée et chaine écrite. Et l’amener à concevoir le système orthographique du français, qui ne peut s’écrire qu’en ‘allant voir’.
Travailler ainsi n’est possible que parce que le groupe n’est pas trop important et que la majorité des apprenants en est encore au stade du recopiage et va écrire en recopiant dans le listing sans oser s’aventurer à une production personnelle. La difficulté consiste à construire une phrase correcte en reprenant, dans les différentes colonnes, des éléments qui font sens pour eux et pour le lecteur (textes 1 et 2). Ou parce qu’ils ont été scolarisés et sont rodés à la recherche dans leurs outils (texte 3). Heureusement pour l’animateur, qui va pouvoir se consacrer à ceux qui commencent spontanément à quitter le modèle pour entrer dans une histoire plus personnelle. Comme Aïcha (texte 4). Mohamed (texte 5), lui, se lance et tente des codages phonétiques. Qui ne peuvent être corrects, vu la complexité des correspondances graphophonétiques en français – qui est de fait plus un système orthographique qu’un système alphabétique – et les problèmes d’expression orale et d’accents.
C’était la première fois que nous étions de cette manière en situation d’écriture. Par la suite, le formateur doit absolument travailler individuellement avec chacun pendant que les autres travaillent seuls ou en sous-groupe sur d’autres tâches. Et ce, pour soutenir par le dialogue pédagogique, l’écriture, l’énonciation, le recours aux outils et dictionnaires, la réflexion sur le fonctionnement du langage écrit. Etre à côté, par exemple, de l’apprenant auteur du texte 2 qui, après avoir écrit à partir du listing, a tenté seul une production à partir d’une stratégie phonétique – je pepa le a cole’ – inopérante en français, pour écrire avec lui, l’amener à se poser des questions sur ‘comment cela fonctionne’, l’inciter à aller voir dans ses outils, notamment dans ses listes d’expressions, et faire appel à l’animateur pour une écriture à quatre mains.
Cette phase du travail permet :
- d’énoncer oralement une histoire en ‘je’ à partir d’une histoire proche de la sienne;
- d’en mémoriser la structure à l’oral et à la lecture;
- d’énoncer et écrire, avec l’aide du listing, de ses outils et du formateur, un texte personnel;
- d’enrichir son capital d’expressions et de mots, les prendre comme appuis pour poursuivre l’écriture de son histoire;
- de renforcer le travail sur les analogies;
- de travailler les ‘microstructures’ combinatoires, la ponctuation, les marques grammaticales;
- de développer la curiosité orthographique.
3) Lire l’histoire des autres (30’)
Les histoires de chacun sont tapées, distribuées et lues par le groupe à la séance suivante, ce qui permet de lire des textes inconnus mais proches de sa propre histoire, en s’aidant si nécessaire du listing.
4) Aborder le roman autobiographique (30’)
Cette phase du travail est pour moi indispensable, quel que soit le niveau du groupe. Après être parti d’un extrait de journal, après avoir travaillé sur son histoire et celles du groupe, il s’agit d’en sortir. De se confronter à l’actualité du monde ou à la littérature, au roman, à l’autobiographie. Cela va nous permettre de revenir aux fonctions de l’écrit – ici aux fonctions esthétiques et patrimoniales –, de se familiariser avec le livre, d’oser le manipuler et y entrer.
J’ai donc cherché un extrait d’un roman autobiographique pouvant être lu et compris sans préparation spécifique par le groupe – plus de 80% du vocabulaire est connu et le récit est proche de l’histoire personnelle des participants qui vient d’être travaillée –, pour le proposer en lecture individuelle, silencieuse, puis le faire raconter et le faire lire. Et ensuite présenter le livre : le faire circuler, parler de l’auteur, de son contenu…
Benigno CACÉRÈS La rencontre des hommes Seuil, Coll. Points, 1950
5) Ressenti et évaluation
Après chaque étape de la démarche, il est important de faire émerger le ressenti du groupe et son évaluation du travail réalisé. Puis, arrivé au terme des différentes étapes, de prendre une décision quant à la suite du travail : poursuivre le récit de son histoire personnelle (quand j’étais petit/petite, où est-ce que j’habitais, que faisaient mes parents, ma famille, etc.) ou poursuivre la découverte du roman. Le groupe avec lequel j’ai travaillé a ainsi décidé de poursuivre l’écriture des histoires de chacun selon le même schéma (listing, production d’écrits personnels, lecture des textes des autres). Les textes finaux ont ensuite été dactylographiés et reliés en brochure.
De gauche à droite: texte intermédiaire d’Aïcha et texte final d'Aïcha
« C’est ma meilleure lectrice – Seulement elle ne comprend pas bien ce qu’elle lit… »
Mary DeKonty Applegate, Université St Joseph, Philadelphie - Anthony J. Applegate, Université Sainte Famille, Philadelphie - Virginia B. Modla, Université La Salle, Philadelphie.
« She’s My Best Reader; She Just Can’t Comprehend » : Studying the Relationship Between Fluency and Comprehension. The Reading Teacher, 62(6), pp. 512–521. © 2009 International Reading Association. Tous droits réservés.
Si la fluidité en lecture contribue à la compréhension, alors les élèves qui ont la lecture la plus fluide devraient être les meilleurs en compréhension. Les auteurs de cette étude trouvent pourtant que c’est loin d’être toujours le cas.
Nos futurs enseignants d’école primaire font pour la plupart une spécialisation en lecture et dans le cours consacré à l’évaluation, nous leur demandons d’administrer un test informel de lecture à plusieurs élèves. Pour leur permettre d’accroitre l’étendue de leur expérience, nous leur demandons de ne pas se limiter aux lecteurs en difficulté, mais de tester au moins un élève qui a été identifié par ses professeurs ou ses parents comme un excellent lecteur. L’année dernière, une de nos étudiantes est venue nous voir après le cours pour nous faire part de son désarroi à propos des faibles performances globales de son « excellent lecteur ». Le scénario qu’elle nous décrivait là n’avait malheureusement rien de neuf pour nous. Nous l’avons encouragée à parler avec l’enseignante de l’enfant afin d’obtenir plus d’informations sur ses résultats en lecture dans sa vie scolaire courante. La semaine d’après, elle nous est revenue, tout aussi troublée. L’enseignante lui avait dit : « Oh, c’est ma meilleure lectrice, c’est sûr, seulement elle ne comprend pas bien ce qu’elle lit. » Aussi déconcertante que puisse être cette anecdote, elle n’a pas surpris la plupart des gens de terrain à qui nous l’avons racontée. D’après eux, la réflexion de l’enseignante est le reflet de l’importance exagérée qu’on donne dans nos classes au développement des composantes de la lecture orale telles que la vitesse et la correction par rapport au moindre intérêt qu’on accorde à la compréhension.
Fluidité et compréhension
Allington (1983) a pu, un jour, définir la fluidité comme « l’objectif négligé » de l’apprentissage de la lecture en Amérique, mais ce n’est manifestement plus le cas. Les origines de ce regain d’intérêt concernant la fluidité en lecture remontent au-delà du Rapport du National Reading Panel (NRP; National Institute of Child Health and Human Development [NICHD], 2000), mais il n’est pas douteux que c’est ce dernier qui, après en avoir fait un de ses « cinq piliers de la lecture », a servi de déclencheur à l’intérêt actuel pour la fluidité et ses corollaires didactiques.
S’il subsiste dans la littérature de nombreuses variantes dans la définition de la fluidité en lecture (Keehn, 2003), il semble qu’il existe un consensus sur deux de ses composantes-clés : (1) la reconnaissance exacte et automatique des mots et (2) une lecture menée à un rythme approprié. La capacité à lire avec une intonation ou une expression adéquates est souvent ajoutée à la définition de la fluidité par de nombreux théoriciens, mais il faut noter qu’il existe des contradictions dans les découvertes des chercheurs qui ont étudié les liens entre l’intonation et la compréhension. Certains chercheurs ont trouvé des liens entre les deux (Meyer & Felton, 1999; Miller & Schwanenflugel, 2006), tandis que d’autres n’ont trouvé aucune relation (Schatschneider et al., 2004).
D’autres théoriciens ajoutent à ces composantes les éléments essentiels de la compréhension et la construction du sens (Eldredge, 2005; LaBerge & Samuels, 1974; Pikulski & Chard, 2005; Rasinski, 2003; Samuels, 2007). Toutefois, dans la plupart des études que nous avons passées en revue, la définition la plus courante de la fluidité ne comprend pas le concept de compréhension; les chercheurs semblent plutôt essayer de déterminer si des liens peuvent être établis entre la fluidité et la compréhension. Par conséquent, dans cet article, nous utiliserons le concept de fluidité dans son sens le plus courant, comme la résultante de la vitesse, de la correction et de l’intonation en lecture orale.
La fluidité comme préalable à la compréhension
LaBerge et Samuels (1974) ont émis l’idée que la lecture repose sur deux tâches centrales qui doivent se partager des ressources cognitives nécessairement limitées : la reconnaissance des mots et la compréhension. Si les lecteurs n’ont pas développé une reconnaissance automatique des mots, alors les efforts qu’ils doivent consentir pour décoder va nécessairement réduire leurs capacités à comprendre. Inversement, plus le décodage serait automatique, plus les ressources attentionnelles pourraient être consacrées à la compréhension.
Sur la base des idées de La Berge et Samuels, certains chercheurs ont suggéré qu’une fois libérées, les ressources attentionnelles occupées par la reconnaissance des mots peuvent être redirigées vers la compréhension (Hudson & al., 2005; NICHD, 2000). Ils en ont conclu que l’accroissement de la fluidité en lecture des élèves devait conduire à un accroissement de leurs compétences en lecture, et plus particulièrement en compréhension.
La fluidité et la compréhension entrelacées
D’autres chercheurs et théoriciens considèrent que la relation entre la fluidité et la compréhension est beaucoup plus complexe qu’il ne semble (Dowhower, 1991; Rasinski, 1984; Strecker & al., 1998). Certains, par exemple, ont attiré l’attention sur le fait que les stratégies de compréhension et de fluidité des lecteurs sont affectées par l’intérêt qu’ils trouvent dans le matériel de lecture (Walczyk & Griffith-Ross, 2007). D’autres ont suggéré que le développement de la fluidité exige des occasions d’engagement dans des discussions critiques et significatives sur des textes (Griffith & Rasinski, 2004). De telles conceptions interactives insistent sur le fait que des compétences telles que la fluidité et la compréhension se développent de manière simultanée (Schwanenflugel & al., 2006), de telle sorte que la relation réciproque entre elles devient évidente et consciente chez les lecteurs, qui peuvent alors l’incorporer dans leur système de contrôle interne.
Problématique
Nous savons le nombre appréciable d’études dans lesquelles des enfants entrainés à améliorer leur fluidité en lecture ont montré qu’ils avaient progressé en compréhension (Breznitz, 1987; Flood & al., 2005; Greenwood & al., 2003; Griffith & Rasinski, 2004; Keehn, 2003; O’Connor et al., 2002; O’Connor, & al., 2007; Reutzel & al., 1994; Schwanenflugel & al., 2006; Young & al., 1996). Dans notre propre étude, cependant, les enfants ont déjà acquis un haut niveau de fluidité, comme en témoignent leur vitesse, correction et intonation en lecture orale. En plus, ils ont été identifiés par leurs enseignants ou leurs parents comme de bons lecteurs et font partie du groupe des meilleurs lecteurs dans leur classe. Notre raisonnement est le suivant : si la fluidité favorise la compréhension en lecture, alors ces élèves devraient manifester des niveaux de compréhension relativement hauts par rapport aux critères correspondant à leurs années d’études.
Nous savons également que la plupart des études qui ont rapporté des gains en compréhension suite à l’amélioration de la fluidité ont évalué la compréhension au moyen soit de tests à choix multiples standardisés (Breznitz, 1987; Jenkins & al., 2003; Keehn, 2003; O’Connor & al., 2007; Schwanenflugel & al., 2006), soit sur la base de rappels de récit littéraux (Keehn, 2003; Young & al., 1996). Certains de ces mêmes chercheurs ont souhaité qu’on réplique leurs résultats avec un éventail plus large de mesures en compréhension (Schwanenflugel & al., 2006). Notre intention était d’évaluer la compréhension en lecture comme une transaction complexe, une interprétation de haut niveau.
Pour étudier la nature de la relation entre fluidité et compréhension, nous avons identifié un nombre conséquent d’enfants considérés comme des lecteurs fluides. Si ces élèves ont de bons résultats en compréhension à un test adapté à leur niveau scolaire, alors cela devrait plaider en faveur de l’idée selon laquelle la fluidité contribue à la compréhension. Toutefois, si une proportion significative de lecteurs fluides connait des difficultés en compréhension, il faudra s’interroger davantage sur la relation qui existe entre la fluidité et la compréhension.
En bref, notre étude a examiné deux questions :
- Y a-t-il des données dans notre recherche qui viennent soutenir l’idée qu’un haut niveau de fluidité implique un haut niveau de compréhension ?
- Un haut niveau de fluidité implique-t-il un haut niveau de compréhension lorsque celle-ci est évaluée dans ses aspects interprétatifs ?
Évaluer la compréhension en lecture
Nous avons choisi le test Critical Reading Inventory-2 (CRI-2; Applegate & al., 2008) pour nos mesures de compréhension en lecture, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, nous avions besoin d’un instrument susceptible d’évaluer de manière spécifique un large éventail de niveaux scolaires, puisque notre étude concerne des élèves allant de la 2e année primaire à la 4e année du secondaire. Le CRI-2 comporte des évaluations allant du préscolaire à la fin du secondaire. Nous cherchions aussi une évaluation de la compétence en lecture qui ne repose pas seulement sur le rappel de texte, mais aussi sur l’interprétation. Le CRI-2 est fondé sur des définitions de la lecture largement acceptées dans la littérature professionnelle, définitions qui font consensus sur la nature significative, interactive de la compréhension (Flippo, 2001). On en trouve le reflet dans cette définition de la lecture donnée par le NRP : « un processus actif qui exige une interaction intentionnelle et significative entre le lecteur et le texte » (NICHD, 2000).
Le CRI-2 comprend des textes narratifs et informatifs dont les niveaux de difficulté ont été établis sur la base de l’échelle de Flesh-Kincaid et validés grâce à une analyse complète des données recueillies. Le CRI-2 inclut une épreuve de rappel évaluée selon les cadres de la grammaire de récit et permet également d’évaluer les compétences interprétatives des lecteurs. Enfin, l’épreuve de fluidité est conçue pour évaluer la vitesse, la correction et l’intonation en lecture orale (voir Figure 1).
Le CRI-2 a été développé pour évaluer les trois dimensions suivantes de la lecture :
Lecture orale
(5 pts.) Lecture fluide, assurée et correcte.
(4 pts.) Lecture fluide et correcte, la plupart du temps, avec quelques hésitations.
(3 pts.) Lecture sans assurance, caractérisée par des interruptions fréquentes, des erreurs et des hésitations.
(2 pts.) Lecture sans assurance, avec retour occasionnel au mot-à-mot et des incohérences de sens.
(1 pt.) Lecture au mot-à-mot pour l’essentiel, avec peu d’intonation et nombreux contresens, voire des non-mots.
Intonation
(5 pts.) Intonation correspondant à la signification du texte.
(4 pts.) Intonation globalement significative, avec des exagérations ou des inflexions inadaptées au texte.
(3 pts.) Intonation manifestant un sens de la phrase, mais avec des ruptures dès que des difficultés se présentent.
(2 pts.) Manque d’intonation par défaut d’enthousiasme.
(1 pt.) Absence quasi complète d’intonation.
Ponctuation
(5 pts.) Le lecteur respecte parfaitement la ponctuation, dans toutes ses nuances.
(4 pts.) Le lecteur manifeste une bonne utilisation de la ponctuation comme aide à l’intonation.
(3 pts.) Le recours à la ponctuation se limite à la pratique de pauses trop longues ou trop courtes.
(2 pts.) La ponctuation est parfois ignorée, et la signification peut en être perturbée.
(1 pts.) Le lecteur manifeste une ignorance patente de la ponctuation.
Rythme
(5 pts.) Le rythme est rapide, mais naturel.
(4 pts.) La lecture est en général bien rythmée, avec quelques faiblesses occasionnelles devant certaines difficultés.
(3 pts.) Le rythme est relativement lent, avec des ralentissements ou accélérations devant certaines difficultés.
(2 pts.) Le rythme est vraiment très lent ou trop rapide.
(1 pt.) Le rythme est trop lent et ânonnant.
Score total
Figure 1 L’épreuve de fluidité en lecture orale du Critical Reading Inventory. Évaluez la fluidité du lecteur dans chacune des quatre catégories suivantes. Tiré de Applegate & al. 2008, p. 76.
1. Compétences textuelles
Ces items comprennent à la fois des questions littérales dont les réponses se trouvent mot pour mot dans le texte et celles qui supposent des inférences simples, proches du contenu littéral du texte. Exemple donné par Leslie & Caldwell (2006, p. 314) : le texte dit « Pelé avait un rêve. Il voulait devenir footballeur professionnel ». La question était « Quel était le but principal de Pelé ? » En dépit du fait que cet item soit censé évaluer la compréhension implicite, nous l’avons classé comme une question de lecture littérale dans la mesure où le lecteur a simplement à traduire une forme linguistique dans une autre (but = rêve).
2. Compétences inférentielles
Ces items demandent au lecteur de faire un lien entre le texte et son expérience vécue et à en tirer une conclusion logique. Répondre à de telles questions demande une réflexion significativement plus complexe que les inférences simples. Par exemple, une histoire raconte les efforts d’un père pour apprendre à pêcher à ses enfants. Sa fille réussit très bien, mais pas son fils. La question inférentielle est : « Pourquoi la sœur de Pat est-elle meilleure pêcheuse que Pat ? » Pour répondre à cette question, le lecteur doit observer que la fille, au contraire du fils, écoute les conseils de son père (Applegate & al., 2008, p 111).
3. Compétences critiques, interprétatives
Ces items demandent au lecteur de faire le lien entre le texte et son expérience vécue, d’exprimer et de défendre une idée concernant les actes des personnages ou l’issue des évènements. Pour le passage évoqué ci-dessus, un item portant sur les compétences interprétatives demande : « Crois-tu que le père a bien appris à pêcher à ses enfants ? Pourquoi ? » Le lecteur peut répondre positivement ou non, mais il doit justifier sa réponse avec des informations tirées du texte et faire montre d’une solide compréhension de l’histoire (Applegate & al. 2008, p. 111).Nous avons conçu ce type d’évaluation afin de pouvoir distinguer entre les lecteurs qui sont capables de se rappeler des informations contenues dans le texte et ceux qui peuvent réfléchir à leur propos. Pas moins de 60% des questions de compréhension dans le CRI-2 sont du second type.
Échantillon et méthodologie
L’échantillon de cette étude est constitué de 171 enfants, allant de la 2e année primaire à la 4e secondaire. Il comprend 60 garçons et 111 filles. Le tableau 2 montre la répartition de l’échantillon en fonction des niveaux d’études.
2e et 3e années | 4e et 5e années | 6e et secondaire | total |
---|---|---|---|
N=60 | N=54 | N=51 | N=171 |
Tableau 1 - Nombre de sujets par niveaux d’études
Tous les sujets ont été testés par des étudiants de maitrise, formés à la passation du CRI-2 dans le cadre de leur cours sur le diagnostic et la remédiation des difficultés en lecture. Comme nous l’avons déjà dit, nous avons demandé à nos étudiants de tester un lecteur identifié comme un bon lecteur par un enseignant ou un parent. De plus, seuls les enfants situés par leurs enseignants dans le groupe des meilleurs ont été inclus dans l’étude. Parmi les élèves identifiés comme bons lecteurs, nous n’avons retenu que ceux qui avaient obtenu un score égal ou supérieur à 16 au volet du CRI-2 concernant la fluidité en lecture.
Tous les scores pour le rappel de récit et la compréhension ont été recoupés de manière indépendante par deux évaluateurs expérimentés du CRI-2 et toute divergence levée après discussion. Pour ce qui concerne les scores de fluidité, les experts ont recoupé un échantillon aléatoire de 30 enregistrements pour s’assurer de l’exactitude des évaluations. Dans 97% des cas, les experts ont été d’avis que les sujets avaient le niveau requis en matière de vitesse, correction et intonation.
Résultats
Chaque sujet a été testé à son niveau d’études sur deux textes narratifs, l’un lu oralement et l’autre silencieusement. Chaque lecture a été suivie d’un rappel de récit et d’une série de 10 questions ouvertes de compréhension. Au total, la compréhension littérale a été évaluée grâce à 8 items, et la compréhension de haut niveau, grâce à 12 items. Nous avons combiné ici questions d’inférence et d’interprétation critique parce que les deux types de questions évaluent la capacité à faire des liens entre le texte et l’expérience vécue et parce qu’une telle combinaison permet d’évaluer la compréhension de haut niveau avec un plus haut degré de fiabilité. Les scores moyens en compréhension de tous les sujets sont présentés dans le tableau 2.
Compréhension littérale | Compréhension de haut niveau | Score moyen de tous les items |
---|---|---|
80.70 | 66.12 | 70.07 |
Tableau 2 - Scores moyens en compréhension littérale et en compréhension de haut niveau
Plus intéressante que les scores moyens bruts, la proportion de l’échantillon qui a été considérée comme faisant preuve d’une compréhension avancée, satisfaisante ou en difficulté par rapport au niveau d’études. Pour cette recherche, nous avons défini la compréhension avancée par un score total de 85% ou plus. La compréhension satisfaisante se situe entre 63% et 85%. Les lecteurs en difficulté se situent sous les 63% . Le tableau 3 indique le nombre de lecteurs de l’échantillon classés à chacun de ces niveaux et leurs scores moyens en compréhension, rappel de récit et fluidité.
Niveau de compréhension | Total compréhension | Compréhension littérale | Compréhension de haut niveau | Score moyen de rappel de récit | Fluidité moyenne |
---|---|---|---|---|---|
Avancé n = 52 | 91.64 | 96.74 | 88.23 | 2.45 | 17.87 |
Satisfaisant n = 62 | 71.28 | 82.42 | 63.85 | 1.73 | 18.03 |
En difficulté n = 57 | 49.46 | 70.75 | 35.31 | 1.00 | 17.40 |
Tableau 3 - Scores de compréhension, rappel de récit et fluidité pour les lecteurs avancés, satisfaisants et en difficulté
Comme on pouvait l’espérer, un nombre significatif (30%) de « bons » lecteurs ont un niveau avancé de compréhension en lecture, qu’elle soit littérale ou de haut niveau. Il y a un nombre un peu plus important (36%) de « bons » lecteurs qui manifestent une compréhension satisfaisante – ils ont encore besoin de progresser. Le fait le plus intéressant, cependant, c’est qu’il y a un tiers de nos « bons » lecteurs dont la compréhension laisse à désirer. Il est difficile d’échapper à la conclusion que ces « bons » lecteurs ont été jugés tels sur la seule base de la vitesse, de la correction et de l’intonation de leur lecture orale.
Notre expérience en matière de questionnaire de compréhension nous a conduit à examiner une autre explication possible de ces résultats. Les données du tableau 3 suggèrent que la compréhension littérale moyenne des lecteurs en difficulté a atteint un niveau satisfaisant, ce qui voudrait dire que le problème essentiel résiderait dans la compréhension de haut niveau, dans l’interprétation. Parmi les 57 élèves dont la compréhension n’est pas suffisante, nous avons identifié ceux dont le score en compréhension littérale dépassait celui en compréhension de haut niveau de 30% au moins. Ils sont au nombre de 29 sur 57. De quoi penser qu’on a affaire là à un problème bien plus répandu qu’on ne le pense habituellement. Allington (2001) a identifié de nombreuses études de classes où les chercheurs ont relevé un nombre excessif de tâches qui mettent l’accent sur la mémorisation et le rappel de texte au détriment des tâches, peu nombreuses, où les enfants sont conviés à réfléchir à ce qu’ils lisent. Si nos sujets en difficulté étaient placés dans de telles classes, leurs compétences en lecture orale et leur capacité à répondre à des questions factuelles en feraient les stars en lecture de ces classes. Et si l’évaluation de la compréhension en lecture en restait au niveau littéral, il faudrait peut-être des années pour que leurs lacunes en compréhension soient découvertes.
Un examen de la configuration des résultats repris dans le tableau 3 suggère que les différences de performance en compréhension littérale et celles en compréhension de haut niveau ne peut pas être expliquée simplement parce qu’un type d’item est plus facile que l’autre (Jennings & al., 2006). Il est clair que presque un tiers des lecteurs de notre échantillon ont obtenu d’excellents résultats aux questions ouvertes.
L’analyse de nos résultats selon les niveaux d’études montre une certaine inconsistance dans les scores concernant la compréhension littérale, mais fort peu pour la compréhension de haut niveau ou la compréhension totale (voir tableau 4). Il apparait donc que le niveau d’études des sujets ne joue pas de rôle dans la relation entre la fluidité et la compréhension.
Années d’études | Performance en compréhension | Compréh. littérale | Compréh. haut niveau | Compréh. totale | Rappel de récit | Fluidité |
---|---|---|---|---|---|---|
2–3 | Avancé (n = 15) | 98.80 | 86.97 | 91.70 | 2.42 | 17.20 |
4-5 | Avancé (n = 19) | 97.36 | 88.37 | 91.97 | 2.43 | 18.21 |
6–S4 | Avancé (n = 18) | 93.93 | 89.14 | 91.07 | 2.50 | 18.06 |
2–3 | Satisfaisant (n = 18) | 74.14 | 66.63 | 69.63 | 1.81 | 18.16 |
4–5 | Satisfaisant (n = 21) | 87.00 | 62.83 | 62.83 | 1.54 | 17.81 |
6-S4 | Satisfaisant (n = 23) | 85.25 | 62.41 | 71.55 | 1.91 | 18.14 |
2-3 | En difficulté (n = 13) | 62.00 | 35.22 | 45.93 | 0.99 | 17.33 |
4-5 | En difficulté (n = 17) | 67.33 | 36.56 | 48.87 | 1.12 | 17.47 |
6-S4 | En difficulté (n = 13) | 75.92 | 33.85 | 50.68 | 0.83 | 17.46 |
Tableau 4 - Scores de compréhension, rappel de récit et fluidité pour les lecteurs avancés, satisfaisants et en difficulté par année scolaire
Discussion
La découverte la plus évidente et troublante de cette étude, c’est qu’un nombre considérable d’enseignants jugent la compétence en lecture de leurs élèves sur la seule base de la vitesse, de la correction et de l’intonation de leur lecture orale, sans tenir compte de leur compréhension. Mais ceci doit-il nous surprendre dès lors que la littérature récente insiste sur la corrélation qui existe entre fluidité et compétence en lecture ? La plupart de ces articles encouragent les enseignants à travailler sur la vitesse, l’articulation ou l’intonation dans la lecture orale de leurs élèves sans rien dire de la compréhension (Devault & Joseph, 2004; Hudson et al., 2005; Richards, 2000; Speece & Ritchey, 2005). Et même quand la compréhension est intégrée dans l’enseignement de la fluidité, ce qui est évalué généralement, c’est la compréhension littérale.
LaBerge et Samuels (1974), dans leur description souvent reprise des ressources attentionnelles, suggère que la reconnaissance automatisée des mots libère l’attention du lecteur, qui peut dès lors l’utiliser pour la compréhension. Nos données suggèrent que pour beaucoup d’élèves, cette libération de l’attention ne conduit pas automatiquement, ni nécessairement à son investissement dans la compréhension. Le fait qu’on ignore tout du type d’enseignement qu’ont reçu ces élèves constitue une des limites de cette étude et un défi pour les recherches à venir.
Traiter la reconnaissance de mots et la fluidité comme des habiletés indépendantes et distinctes de la compréhension est la porte ouverte à toute une série de confusions chez les élèves comme chez les enseignants. Si, comme il semble, les processus d’automatisation et de compréhension sont interactifs et intriqués, il n’y a aucune raison pour les aborder de manière séparée dans notre enseignement. Agir ainsi, c’est courir le risque que certains élèves et certains enseignants considèrent l’automatisation et la fluidité comme des objectifs en eux-mêmes, et non des moyens au service d’un but ultime : l’interprétation du texte.
De fait, les dangers de confusion entre moyens et fins sont patents dans des systèmes d’évaluations tels que le DIBELS. Pearson (2006), Samuels (2007) et Allington (2009) l’ont bien mis en évidence.
De nombreux théoriciens, nous l’avons dit, croient que la fluidité en lecture favorise la compréhension et précède son développement. À l’opposé, certains pensent que la fluidité est une « conséquence » de la compréhension. Ces deux positions sont remises en question par nos données. Dans le premier cas, la fluidité n’a pas produit chez tous ceux qui en font montre un haut niveau de compréhension. Certains pourraient dire alors que, puisque la fluidité est acquise chez ces élèves, il est temps, désormais, de s’occuper de la compréhension. Le problème, c’est que près d’un quart de nos lecteurs éprouvant des difficultés en compréhension fréquentent l’enseignement secondaire supérieur. Pour ceux qui voient la fluidité comme une conséquence de la compréhension, il apparait qu’une compréhension de haut niveau n’est pas nécessaire à l’acquisition de la fluidité en lecture orale. Il reste donc encore à comprendre comment fluidité et compréhension interagissent réellement.
Dans une ancienne comptine, Humpty Dumpty tombe du mur et se brise en plusieurs morceaux. Une bonne partie des élèves que nous avons testés lui ressemblent, et dans de nombreux cas, il ne sera pas toujours facile de recoller tous ces morceaux afin qu’ils deviennent les lecteurs réfléchis et intelligents dont nous avons tant besoin.
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